Note de synthèse 3ème partie : Les impacts de la crise interrogent l’avenir


par Pascale CHELIN-ALLANIC, CNFPT - DGAcDF

Les impacts de la crise interrogent l’avenir : le management des collectivités, la coopération interterritoriale, la priorisation des politiques publiques



3.1 Relancer la machine en s’appuyant sur le facteur humain


« On essaie de voir comment faire évoluer nos organisations. Ce que ce que nous venons de vivre ne pourra pas rester sans suite ».

La dimension psychologique
Les services vont reprendre. La première question : dans quel état psychologique on va retrouver certains agents ? Lors de la reprise du travail, nous allons avoir à gérer l’hétérogénéité des situations des agents : il y a une grande disparité entre les agents en première ligne qui ont affronté le risque de contamination, ceux qui auront télétravaillé, ceux qui auront été en ASA ; Ceux qui auront plus ou moins bien vécu la période de confinement selon qu’ils auront été seuls ou pas ; ceux encore qui seront contents de reprendre alors que d’autres auront peur de sortir.

Il va falloir différencier les agents (congés, primes) sans que cela soit vexatoire pour ceux qui ont peu ou pas travaillé ni inacceptable pour ceux qui ont travaillé sur le terrain : « la récompense à des agents mobilisés sur le terrain, le sujet est source de tension ».

Il est également très important de s’attacher aux personnes afin de pouvoir anticiper les burn out qui pourraient survenir plus tard et, pour cela, faire parler, utiliser les récits pour capitaliser et faire avancer. Et ne pas avoir peur de réintroduire les émotions, de réinjecter l’humain dans nos organisations.

La dimension sociale
Les aspects sanitaires vont d’autre part rendre la reprise plus difficile que la mise en confinement. Il était facile de protéger les agents, de montrer qu’on prenait soin d’eux. Avec la reprise d’activité, malgré tous les efforts, certains agents vont devoir reprendre l’activité dans des conditions qui ne seront pas toujours idéales. Les relations sociales ne seront plus les mêmes : « quand je vais en mairie maintenant, je m’aperçois que j’ai perdu le réflexe, particulièrement naturel chez moi, de saluer ». Il va y avoir la crainte de l’autre : « on a vu des collègues avoir peur quand l’une d’entre elle, qui avait eu le virus, est revenue travailler ».

Il va donc falloir continuer à traiter ces conséquences psychosociologiques mais aussi de manière très matérielle, travailler à la mise en place d’un environnement de travail sécurisé (selon quelles modalités ?).

La dimension collective
Cette période de crise met davantage en lumière l’importance de construire le cap de la collectivité et son avenir avec toutes les personnes la constituant. C’est ce qui permet de tenir une organisation collective et de la transformer.

Il va déjà falloir entrer les Directions et leurs services dans une logique collective alors que le réflexe sera sans de protéger son service, son pré carré, ses projets. Ne pas décevoir, ne pas démotiver.
Pour ce faire, il va falloir capitaliser sur ce qui a été fait, faire un bilan en laissant les agents s’exprimer sur ce qu’ils ont vécu en termes d’éloignement, de collaboration, de difficultés, de réussites : « on se pose, on s’écoute et on en tire une expérience ».

La durée de la crise sanitaire et le fait que son issue ne soit pas connue la rend d’autant plus inédite et complexe, car il n’y a pas de précédent ni de méthode éprouvée pour y faire face. Face à cette durée qui entame les hommes et les femmes, quelle organisation du travail mais aussi quels accompagnements des agents mettre en place ?

L’enjeu est donc de construire et valider un cadre de finalités du projet public territorial (sans doute différent de l’avant-covid) à traduire et faire approprier ensuite par l’organisation. Celle-ci tirant les enseignements du contexte (télétravail, prise d’initiative…) pour construire des indicateurs au pilotage et enrichir le processus de qualité de l’organisation.

Le renouveau managérial
Comme le résume d’une formule Pascal Fortoul, « On vit un point d’irréversibilité managériale ». La contrainte issue de ce choc sanitaire va permettre d’accélérer tous les processus de mutation en cours dans les collectivités en matière de modernisation interne (développement du télétravail, management libéré, création de nouvelles manières de travailler, de nouveaux services).

Il va s’agir d’accompagner les cadres sur le renouvellement managérial, le collaboratif et le distanciel, déployer d’autres façons de travailler (autonomie-création-invention). « Ça ne se fait pas aussi vite qu’une décision de confinement et de dé-confinement ». L’intérêt même de revenir au bureau demain est mis en question. Ça veut dire une capacité à réfléchir vite sur les modes, modalités, configurations de travail et agir assez vite.

Autrement dit, au sortir de cette crise, ce sera vraiment le moment de s’ouvrir à d’autres formes de pensée notamment pour éviter de revenir en arrière. Il faut continuer à travailler sur tout ce qui concerne « l’innovation », (Design-thinking, nouvelles formes de gouvernance et de démocratie, modalités de d’intelligence collective) car souvent les pratiques vont plus vite que les institutions.

La gouvernance
Le retour à la normal ne sera pas facile car la crise a bouleversé les équilibres avec les élus.

La situation risque d’être encore flottante un bon moment : comment réussir à élaborer un projet d’Administration, clarifier les rôles de chacun alors que les équipes ne sont pas encore en place ? Tant qu’on n’a pas installé les nouveaux exécutifs et que les délégations ne seront pas attribuées, les élus ne se projetteront pas. On peut juste commencer à élaborer des scénarios : s’il faut plus de femmes de ménage dans les services, est-ce au détriment d’autres services, est-ce qu’on accroît la masse salariale ?

L’enjeu de ce mandat nécessite que les élus municipaux s’impliquent plus dans la vie communautaire. Il faut aussi que les élus comprennent que les citoyens ont leur mot à dire et que les citoyens comprennent qu’une fois que les élus ont pris une décision, après discussion, il faut la respecter.

3.2 Repenser la coopération interterritoriale et le rapport à l’Etat :


La crise renforce les questionnements sur les liens entre communes et intercommunalités. Il va falloir renforcer les coopérations intraterritoriales et interterritoriales, et pour cela comprendre que les compétences ne sont pas exclusives les unes des autres dans le bloc local. Ce n’est pas parce qu’une compétence est intercommunale qu’elle ne concerne pas la commune. La communauté de commune est une plateforme au service des communes et des habitants.

Il y a de formidables opportunités pour travailler en interterritorialité si c’est porté par les élus (toutes tendances confondues). Il faut réussir à démontrer qu’il faut raisonner de manière collégiale mais dans le respect des prérogatives de chacun. Dans les domaines petite enfance, enfance, jeunesse, l’interco doit assurer une coordination, une péréquation financière, garantir des tarifs uniformisés pour les familles, offrir un portail unique tout en laissant les communes et les associations gérer en proximité dans le cadre de cohérence fixé au niveau de l’interco.

Par ailleurs, le rôle de l’Etat est de nouveau questionné :
Faut-il reconstruire l’Etat-providence pour faire face à ces risques sociaux qui sont désormais des crises écologiques ? Des chercheurs comme Bernard Pecqueur prédisent à la fois un retour aux valeurs tribales, locales et une remise en selle de l’Etat, garant du temps long.

D’autres estiment que le cadre de la décentralisation doit être renforcé pour agir au plus près des territoires afin qu’une réelle coopération puisse exister entre l’Etat (ARS par exemple) et les collectivités.

3.3 Repenser et prioriser les politiques publiques :


« Il y aura un avant et un après coronavirus. Il le faut. Cette crise nous aura tous transformés ».
Il est encore difficile de savoir de quoi l’avenir sera fait dans les collectivités : comment envisager l’après ? Quelles hypothèses peut-on poser ? alors que les impacts sociaux de la crise ne sont pas encore mesurés. Dans un contexte financier qui sera très contraint puisque, simultanément au risque d'une forte dégradation de leurs recettes en raison de la récession que pourrait provoquer l'épidémie, les collectivités devront faire face à une hausse de leurs dépenses (RSA, mesures de soutien aux entreprises et aux hôpitaux, le portage des repas pour les personnes âgées, banque alimentaire).

La nécessité d’inventer un modèle ?
La crise a violemment révélé́ les failles et les limites de notre modèle de développement, entretenu depuis des dizaines d’années. La contrainte issue de ce choc sanitaire va peut-être permettre d’accélérer tous les processus de mutation : politiques d’adaptation et de résilience en matière environnementale et sociale, priorités en matière d’investissement public, coordination locale des politiques de santé, souveraineté́ alimentaire, besoin de sécurité́ sanitaire, production locale pour des emplois de proximité́, le lien social et le vivre-ensemble.

Ainsi, la crise force les collectivités à inventer un modèle de l’action publique dont on ne sait pas ce qui est attendu et à trouver des leviers de renforcement des capacités territoriales, au-delà de “l’attractivité” et du “rayonnement”. Elle met en lumière des enjeux déjà présents dans les politiques et les dynamiques territoriales :
  • Enjeu de transition systémique des territoires : quid des projets de territoire ?
  • Le rapport entreprises-territoire : aides publiques spécifiques à la période de crises, mais aussi les aides liées à l’immobilier, l’activité de commerces,
  • Les modes de productions et de consommations locales : où sont les ressources locales ? agricoles, alimentaires…

Premières pistes, premières tensions ? « la santé ou la 5G »
L’enjeu, c’est la progressivité, ne pas reprendre directement là où on s’est arrêté. La grande question, ça va être de revisiter les programmes de campagne, les projets et de redéfinir les priorités à l’aune de cet apprentissage.

« Le projet politique ne va plus être le même », le plan alimentaire local va être une priorité, l’ESS aussi. Il va falloir que les élus se positionnent : la santé ou la 5G ? Les 2 axes phares : la santé, l’aide au développement économique pour relever les filières.

« Nous allons nous interroger sur la philosophie de certaines politiques, sur certains investissements consommant de foncier et générant de la pollution : on co-finance de gros projets d’infrastructure routière (faut-il investir 15M€ dans la déviation d’une route ?) »
« Les circuits courts étaient encore à l’état expérimental, c’était déjà un sujet, ce sera un sujet plus fort »

« Nous allons devoir repenser le modèle classique de développement économique (zones activités) et privilégier la relocalisation de certaines productions »
« Nous allons travailler sur la mobilité en milieu rural (transports collectifs, co-voiturage) »
.

Oui, mais par ailleurs, il faudra amorcer la pompe économique (rôle de la commande publique construction de gros équipements) : « le service économique s’est retrouvé en première ligne pour animer de manière active un diagnostic économique et préparer l’accès aux fonds régionaux ».
« Le Directeur des finances est mobilisé sur les impacts financiers de la crise sur l’agglomération pour identifier les marges de manœuvre pour apporter notre soutien au monde économique ».
Il faut relancer l’économie locale en faisant partir au plus tôt les chantiers (bâtiments, travaux publics), en favorisant à plus grande échelle la distribution de proximité de produits créés localement (aides directes pour faciliter les livraisons, sensibilisation des restaurateurs sur les produits locaux, valorisation de ceux qui les utilisent). Aider les producteurs à garder leurs clients après la crise en faisant en sorte que les usagers ne retournent pas acheter de plats surgelés dans la grande distribution mais proposer des drives pour les supérettes.

La crise nous confirme l’intérêt d’une grille d’analyse du social à l’échelle intercommunale pouvant aller jusqu’à une prise de compétence du social (sous un angle pilotage/coordination et pas nécessairement gestion) avec la création d’une cellule sociale-solidarité
Globalement, la grande question du prochain mandat va être le local.