Le passage de la formation à l’apprenance
par Bernard Alix – Journée recherche action sur les Cercles d’apprentissage 21 septembre 2022.Dans le prolongement des travaux d’Hélène Trocmé-Fabre, Philippe Carré fait de l’apprenance une troisième période de l’histoire de la formation des adultes, qui succède, selon lui, à la période de « L’instruction » (de la Révolution française à l’après-guerre) et de « La stagification » (à partir des années 1971 jusqu’au début des années 2 000).
1. La première période de l’instruction se caractérise par un savoir transmis verticalement dans une salle de classe par un instructeur. Cette verticalité est symbolisée par une estrade et un tableau noir. Les instituteurs, qui instituent le savoir, hussards de la troisième République, habillés en noir et portant une cravate, instruisant dans la salle de classe les enfants, dans la journée, puis les parents, le soir, incarnaient cette transmission du savoir transcendant et descendant.
3. La troisième période est caractérisée, quant à elle, par le modèle de l’apprenance qui est en rupture avec les deux périodes précédentes. Elle place l’apprenant dans un autre rapport au savoir. Le formateur opte pour une posture de facilitateur et participe à co-construire une rationalité partagée. Il n’existe pas de réponse a priori répondant à un besoin. Le savoir coproduit devient le fruit d’une co-émergence entre le formateur et les apprenants qui sont alors reconnus comme les experts de leur propre métier. Dans la logique de l’apprenance on valorise le corpus antérieur de connaissance, l’expérience de l’apprenant issue notamment de situations de travail que l’on inscrit dans un processus de questionnement, de réflexivité afin de les confronter soit à des savoirs, savoirs procéduraux, soit conçus en extériorité, soit en contribuant à la construction par les apprenants eux-mêmes de ces savoirs, individuellement ou collectivement. Comme facilitateur, le formateur est inscrit dans une posture de médiation, et non plus d’intermédiation. Il ne fait plus écran entre les apprenants et ce qu’ils apprennent. Cette fois, ce ne sont plus seulement des capacités construites par un processus d’apprentissage (je sais faire) mais de l’agir en compétence, voire des capabilités (être en mesure de…) que l’on vise à développer. Enfin, ce qui caractérise fortement ce modèle de l’apprenance c’est la diversification des modalités d’apprentissage ou de développement de la professionnalité (être compétent et non avoir des compétences). Avec l’apprenance, on peut sortir de la salle de stage pour prendre en compte toutes les situations apprenantes, notamment au travail. Toutefois, toute situation de travail n’est pas apprenante en soi. Ainsi, l’A.F.E.S.T. (l’action de formation en situation de travail) peut contribuer à l’apprenance mais doit inscrire les apprenants et ceux qui les accompagnent dans des processus pédagogiques. Nous aborderons, ultérieurement dans cette note, les points de vigilance à prendre en compte pour développer ces pratiques au cœur de l’activité in situ.
Le CNFPT est aujourd’hui encore inscrit pour l’essentiel dans une démarche d’industrialisation de la formation appuyée par une logique gestionnaire de rationalisation caractérisée par le règne de la quantité : produire du JFS (journée formation stagiaire) qui le conduit à une forme de contre-productivité (perte de sa finalité première) !
Les limites de la logique de consommation de la formation que cette démarche introduit se mesure avec l’effet rebond : les gains en termes d’efficacité de production sont détruits par l’augmentation de la pratique de consommation (culture qui devient loisir) !
De quoi est-il question en formation ?
- Développer l’agir en compétence ! Ce qui entraîne le rapprochement entre la formation et le travail réel… renormalisation du prescrit… le travailler conforme / le travailler autrement
- Partir des concernements et non des besoins de formation
- Retournement du modèle de la formation
- L’acquisition du savoir n’est plus un préalable à l’action… le savoir n’est pas la cause efficace
- L’enjeu est de mobiliser les ressources et les dispositions pour développer du pouvoir d’agir !
- Partir de l’expérience, le déconstruire et ensuite se confronter où créer ses propres savoirs (recherche-action)
La formation est éminemment paradoxale selon Sandra Enlar :
« Si la formation faisait vraiment ce qu’elle dit qu’elle fait, elle remettrait profondément en cause l’organisation, il faut donc la rendre relativement inefficace tout en prétendant l’utiliser pleinement ; si la formation ne faisait pas ce qu’elle fait en réalité comme pratique sociale et non comme moyen ou technique d’apprentissage, elle aurait disparu depuis longtemps »La formation comme ressource pour développer le pouvoir d’agir et l’émancipation des acteurs est menaçante… il faut donc la rendre la plus inoffensive possible !