Entretien avec Jean Guillaume


Interview Jean GUILLAUME – DGS du Lamentin - Martinique

Période de confinement – L’ADAPTATION à la crise
(ce que la crise apprend, modes de travail, questionnements…..)


On travaille différemment : oui et non. Il faut se prémunir sur le plan psychologique.

Ce qu’on peut dire, c’est qu’on n’était pas préparé du tout.
Les élections, le confinement, c’est un contexte qui nous est tombé dessus, même si on voyait une situation particulière arriver.
Pour les DOM, cela n’a pas été évoqué de la même manière ; il y a une question de territorialité de cette mesure de confinement
Il a donc fallu mettre en place le PCA. Nous n’avions pas de PCA au Lamentin ; rares sont les collectivités qui ont fourni un PCA pour la pandémie du virus H1N1.
Au Lamentin, nous avions plus des idées pour un PCA, mais le document n’était pas abouti.
Et là le contexte est différent de celui du virus H1N1. On est sur un absentéisme prescrit et non un absentéisme suite à une pandémie. Il s’agit donc aujourd’hui d’un confinement spécial.
Nous avons tout de suite considéré les technologies que nous pouvons avoir à disposition et on a fait, et on fait en marchant.
Nous avons donc fait ce PCA au bout de 10 jours sur la base d’éléments constatés ; on est donc plus sur un constat qu’une prévision.
Evidemment, le maire a pris en main toute la gestion de crise : personnes et personnels à recenser, cellule d’écoute. .. On a l’habitude de ce genre de crises, par rapport aux risques naturels notamment les cyclones qui sont les risques naturels les plus fréquents jusqu’à présent.
On a donc l’habitude d’avoir un process pour les personnes vulnérables…
Nous avons récupéré cette base de données et activé notre veille sociale.
Les services à la pop, tous les processus ont été déclenchés en coordination avec la collectivité territoriale unique, mais de manière désordonnée car les consignes du gouvernement n’étaient pas claires.
C’était de l’improvisation.

Au Lamentin, nous avons mis en place une permanence, un poste de commandement communal et on a pu utiliser le mode téléconférence. Il faut noter que certains élus sont peu formés et habitués à ces modes numériques.

Nous avons de surcroît à faire face à la sécheresse qui fait qu’on a une coupure d’eau tournante, ce qui complique le respect des gestes barrières comme se laver les mains très régulièrement. Pour nous, cela a nécessité une mobilisation supplémentaire.

Sur le plan de la gestion vis à vis de la population, cela se passe plutôt bien.






Vis à vis de l’interne et la façon de travailler, il y a 4 catégories d’agents :
  • ceux obligés de se déplacer (techniciens, personnel social…)
  • ceux qui peuvent télétravailler
  • ceux qui ne peuvent pas travailler, comme le personnel des écoles
  • les volontaires pour des missions autres que celle relative à leur emploi

Nous avons par ailleurs constaté que, pour travailler autrement, le service Système d’Information est un service pilier aujourd’hui, ce qui diffère d’il y a 20 ans.

Ainsi, au niveau de l’encadrement supérieur :
  • le CHSCT a eu lieu en téléconférence
  • le CODIR également

Tout le monde s’est mis à ces nouvelles techniques de travail.
La DRH a suivi un webinaire vendredi sur le post-Covid et a souhaité partagé ce qu’elle a appris.
Nous pensons à ce que nous vivons en ce moment. Mais ce qui est important, ce sera de prendre en compte l’aspect psychologique même vis à vis de ceux qui ne parlent pas.
Il y a un côté invasif du numérique (Whatsapp, télétravail, écran…) et il n’y a plus de démarcation entre l’espace privé et l’espace de travail. Les conséquences sont importantes. 
Nous avons mis en place une communication très importante pour les personnels de la 3ème catégorie, collègues isolés, car au quotidien nous sommes dans la gestion de crise : un flash infos, l’envoi de mails….

Au fur et à mesure, on prend conscience d’un certain nb de choses et enrichit notre PCA.
La période invite à beaucoup d’humilité : on apprend, on construit, on apprend…
Par exemple : on n’aurait jamais pensé dans notre PCA à parler des plantes de la pépinière qui se perdent. Nous l’avons noté grâce à la conscience professionnelle des agents qui ont sollicité des autorisations de déplacements professionnels pour que la pépinière ne soit pas anéantie par une période d’inactivité.

Autre exemple : nous faisons le constat qu’en plus du traitement des salaires, toute la gestion RH se fait complètement en télétravail. Or, dans notre PCA nous n’avions mentionné que le traitement des salaires.

Belle réussite : nous avons mis en place une politique de réduction des délais de paiement pour les fournisseurs, politique ambitieuse qui nous a valu les félicitations de l’AFD. Nous avions engagé le travail pour privilégier l’usage de Chorus pro par les fournisseurs. La période de confinement nous a permis d’y mettre un coup d’accélérateur.

Nous avons également développé une politique d’e-administration avec le courrier électronique, pour pallier la faible activité postale du fait du confinement.
Le dispositif a tenu compte cependant de la capacité des serveurs.

Notre « organisation autrement » impacte et vice-versa la technologie et nous avons progressé sur la technologie dans notre mode de fonctionnement.


Et la REPRISE, comment l’envisagez-vous ? la préparez-vous ? les enjeux ?


De la sortie du confinement on attend beaucoup de choses. Si nous supposons une sortie totale, il faudra rassurer les gens et éviter la psychose. Désinfecter les locaux, mettre en place les conditions de la sécurité sanitaire….

Comment allons-nous travailler ?
Les services vont reprendre. La 1ère question : dans quel état psychologique on va retrouver certains agents ?
Si l’agent a télé-travaillé, il y a une poursuite des choses. Pour les autres, il faudra les remotiver. Une collègue m’a interrogé : « DG, je suppose que les objectifs signés en début d’année seront décalés ».
Effectivement, il y aura un travail de reconsidération des objectifs ; il faudra trier les objectifs sur 2020, voire reporter certains à 2021.
Pour la dimension stratégique, j’ai lancé un travail : évaluer les activités qui ont pu être menées pendant le confinement, liées à la crise sanitaire ou pas. Evaluer le coût de cette crise. J’ai demandé également une cartographie des PP : qu’avons-nous pu faire sur le terrain (livraison des paniers alimentaires, citernes d’eau , etc …) ?
Nous avions déjà l’habitude de faire des rapports d’activité, mais là c’est un travail spécifique pour cette période.
La DRH a établi des TB hebdomadaires pour dire qui a pu travailler, et comment ….

Questions en attente : la récompense à des agents mobilisés sur le terrain . La question se pose aussi pour les agents en télétravail. Certains ont utilisé des abonnements et équipements perso. Il s’agira pour eux de défraiement. J’ai demandé une étude au contrôle de gestion afin d’avoir des éléments d’appréciation. On veut être prudent. Il faudra une référence commune et une réflexion commune entre collectivités.
Le sujet est source de tension. Récompenser c’est bien mais qui ?
Notre intention : remettre tous les services en marche avec politique de motivation et de remise en lien social.
On apprendra de toute façon encore.

Nous évaluerons aussi la manière dont nous avons mené les choses.

Il y a un changement dans le collectif avec l’appropriation du numérique. On n’a jamais pensé, auparavant, faire des téléconférences.
Autre signe de changement : un échange spontané avec la DRH qui veut partager ce qu’elle a appris d’un webinaire. On s’aperçoit que ces initiatives pourront se pérenniser. Ce sont des éléments qui mettent en lumière des changements.

Le CHSCT a souvent eu du mal à se mettre en place du fait de l’absence de quorum par le manque de disponibilité de certains élus. Pourquoi pas désormais un CHSCT en téléconférence avec, du coup, un quorum plus facilement obtenu. On parle même au sein du gouvernement de la possibilité de tenir un conseil municipal sous cette forme.
Est-ce qu’on ne peut pas mettre à disposition des élus ce type de fonctionnement et d’outils de manière permanente ?
Nous avons fait la première plénière de la collectivité territoriale de Martinique en téléconférence : sans tomber dans l’extrême et supprimer toute la dimension humaine et physique, ça peut apporter des réponses.

Nous devrons aussi veiller à prendre conscience de la gestion de l’espace-tps personnel et professionnel. Nous avons tous déjà les smartphones. Nous avons créé un groupe whatsapp DGA, un autre pour le CODIR etc … Pour certains, cela est trop, et constitue une source de stress. La bienveillance doit être de mise par conséquent.

L’accompagnement du CNFPT


- le thème de la gestion de notre temps et du droit à la déconnexion.
Dans cette période de crise : il n’y a plus de perso, ni pro.
Le CNFPT pourrait nous éclairer et nous accompagner sur ces questions.

  • Sur la gestion des objectifs : comment motiver, reprendre, relancer la machine

  • Echanger sur les PCA – faire un PCA et tirer les leçons de ce que nous avons vécu sur le process d’un PCA.

  • La relation avec les élus en temps de crise : bon petit dossier. L’élu est en première ligne, lors d’une situation de crise. Pression, mobilisation. Il va falloir une collaboration élus – techniciens et il va être important de travailler tant les élus que les techniciens à cette relation.

  • Le Maire a l’intention de mettre en place des formations de tous les élus, y compris les adjoints : des formations tronc commun et des formations sur la collaboration avec les services par exemple, sur le service public (sans faire pour autant des élus-techniciens). Cela pourrait se faire avec la collaboration du CNFPT


Et intégrer la gestion de crise dans les formations ainsi que la résilience


Et vous ?


Sur la fonction même de DGS je suis totalement motivé pour poursuivre nos actions ; nous avons un programme politique ambitieux : cœur de ville et d’autres projets motivants.
Le nouveau maire a été confirmé dès le 1er tour. Il veut mettre son empreinte sur l’organisation, ce qui est normal mais Il faut se garder de commettre quelques erreurs. Ne pas trop bousculer pour éviter de créer des dégâts collatéraux.

Je souhaiterais bien une formation sur la manière d’appréhender cette démarche de réorganisation en tant que DG et les pièges à éviter.
Pour l’organisation et la mise en œuvre des politiques publiques, je voulais proposer de manière innovante un projet d’administration axé sur la santé au travail. Généralement on travaille le projet d’administration comme déclinaison du projet politique. Je voudrais sortir de ce schéma. Si on a un projet administratif, qui met l’humain au centre, on a assez d’outils opérationnels pour mettre en œuvre le projet politique, les agents étant à même de mener des actions.
Nous avons eu un CODIR spécial, début mars avant le confinement, durant lequel je demandais aux directeurs, sous forme d’ateliers, de mener une réflexion sur nos pratiques managériales. Comment les réinterroger ? Nous souhaitons poursuivre là-dessus.

Je souhaite un soutien du CNFPT pour construire avec nous le bilan de nos pratiques et les réinterroger.
Par ailleurs, suite à une formation INET que j’ai suivie en 2019, j’ai fixé cette année un objectif à la Directrice Stratégie pour la mise en place d’une cellule de la Résilience.
L’expérience du COVID19 nous enrichit beaucoup à cet égard. Je souhaiterais un accompagnement pour poursuivre cette démarche.

Je compte beaucoup sur le CNFPT et sur l’INET. Je suis moi-même un intervenant du CNFPT. Pour progresser,  le CNFPT est un élément important dans la territoriale.