Alain Mille

Quel établissement ? structure... Coexiscience (Lyon)
Quelle est votre météo personnelle eu égard à la situation vécue ? Tout l'art de la météo est de tirer profit des modèles issus de l'analyse du passé pour "prévoir" le futur très proche. Avons nous l'expérience pour faire des prévisions? Je ne pense pas, mais nous avons bien sûr des "intuitions" issues de nos relations à l'environnement, rien de bien solide, mais l'intuition c'est ce qui permet d'explorer une voie prometteuse et permettant de hiérarchiser les actions. Mon intuition est que nous avons fait l'expérience collective du "ralentissement" et des possibilités qu'il ouvre à la réflexion, à l'expérimentation de nouveaux comportements. Mais ce ralentissement est aussi associé à une période d'angoisse collective et si nous souhaitons vraiment profiter du ralentissement et de la "distanciation" des urgences habituelles, il va falloir l'associer au plaisir de vivre plus libre. Au sortir de l'enfermement, préserver la liberté gagnée sur le temps et agir sans précipitation pour aller vite vers une société résiliente et confiante. Rien ne sera plus jamais comme avant? Si bien sûr, et heureusement, mais je fais le pari que c'est le plaisir du temps retrouvé qui peut avoir une chance de décider de réfléchir et agir pour compenser les "effondrements" petits et grands par des capacités à faire pousser de nouvelles pousses très vite sur les gravats encore fumant.
Quelles bonnes pratiques, expérimentations à partager ? L'articulation de projets individuels et collectifs différents (pour nous science, art, fabrication, formation), au sein d'un commun de la connaissance. Il s'agit plus d'ouvrir les projets que de faire des projets avec une gouvernance unique. La question de la gouvernance en commun d'une articulation d'initiatives plutôt que d'un bouquet d'activités propres se pose de manière particulière. Ce qui est commun est à un niveau méta : résilience de l'ensemble des projets par une robustesse issue du commun (résilience en ressources humaines, techniques et économiques).
Quels sont les gros problèmes rencontrés ? Les points de blocage ? Le problème principal est d'éviter la complexification des processus de démarrage et de gestion de projets individuels et collectifs. Chaque porteur (individuel ou collectif) craint l'articulation comme une perte d'autonomie. Le défi est de concilier l'autonomie et la résilience sans procédures affaiblissant les dynamiques. La question du "temps" se pose immédiatement. Les temps d'articulation ne sont pas évidents à valoriser immédiatemment dans les processus bottom-up.
Quelles pépites en terme de coopération avec vos collègues ? Actuellement, un projet "Vox Lab" nous permet d'expérimenter les "bonnes propriétés" d'un fonctionnement ouvert et articulé. Le projet porté par un collectif mobilise des sans-abris, des chercheurs, des makers, des artistes, des éducateurs. L'articulation a permis de compléter les ressources (stages, co-financement), de faciliter la valorisation scientifique (co-écriture d'article) et la valorisation économique (réponse à des projets, fabrication d'objets médiateurs pour le soutien financier (vente d'objets co-fabriqués).
Quelles pépites en terme de coopération avec les partenaires ? Dans ce que j'ai décrit ci-dessus, je ne fais pas de distinction entre "collègues" et "parties prenantes". La gouvernance inclusive des parties prenantes est tout à la fois un objectif nécessaire et une difficulté objective dans les rapports contractuels qui sont aujourd'hui possible dans le monde tel qu'il est. Il n'est pas facile (voire impossible pour l'instant) que le représentant d'une institution fasse plus que "représenter" au moment des décisions. Nous l'invitons pourtant aussi au autres moments de la vie des projets.
Que voulez-vous conserver de cette expérience de confinement, quel positif à garder, consolider ? Je garderai donc deux choses : le temps relâché (il n'aurait peut-être pas été possible de mobiliser le temps d'écriture scientifique ouverte sans ce temps), et l'effet de bord "documentaire" lié à l'usage du numérique. Nécessité faisant loi, de nombreuses personnes maintenant se sont ouvertes aux capacités de mise en réseau du numérique (même si c'est souvent avec des outils peu recommandables)
Que voulez-vous cesser, quel négatif à travailler, améliorer ? L'isolement physique doit cesser. La dynamique de la rencontre physique est essentiel pour qu'un commun s'incarne (au sens propre du terme donc). Le numérique doit s'articuler avec le physique sans l'occulter. La discussion en présence devant une réalisation apporte bien d'autres choses essentielles que la visualisation d'une vidéo avec des commentaires même en live. Le numérique doit préparer et entretenir la qualité de l'activité commune en présence les un.e.s des autres.
Que voulez-vous créer, inventer, fabriquer, qui vous a vraiment manqué ? Ce que j'aimerais vraiment "inventer" c'est le processus "magique" de ce que j'appellerais le meta-commun, lorsque l'on ne partage pas directement tous les projets, mais que l'on partage les principes, les processus, les valeurs des projets articulés. Trouver une forme sensible permettant de concrétiser quelque chose qui apparaît au mieux comme un idéal et bien souvent comme une abstraction peu utile.